Patrice Pouget, Bio Chemins

Patrice, lors de la dernière distribution à Bio’Gustin, le 22 décembre dernier.

Ce deuxième épisode des interviews de producteurs est consacré à Patrice Pouget, notre maraicher fidèle au poste depuis la création de Bio’Gustin en 2012. 

Je le connais bien puisque j’ai adhéré au contrat légumes dès le début et participé à pas mal de chantiers participatifs. Mais surtout parce qu’il m’a pris sous son aile pour effectuer le stage de découverte du monde agricole qui aura été la première étape de ma reconversion pro.

Dans cet interview, nous sommes revenus rapidement sur son parcours pour ensuite nous attarder sur sa vision de l’agriculture biologique et ses motivations à en devenir un des pionniers dès les années 80. Enfin, nous parlons des AMAP en général et de Bio’Gustin en particulier.

La lecture de ces quelques lignes devraient vous permettre de mieux connaître ce paysan engagé, ses convictions fortes et ses motivations.

Hervé

Patrice, peux-tu nous résumer ton parcours professionnel ?

Après avoir grandi dans une famille paysanne, j’ai fait des études de Génie Civil et Bâtiment dans le but de ne pas travailler à la ferme ! Mais après un début de carrière dans l’industrie, un voyage de 2 ans en Afrique occidentale m’a bouleversé . J’y ai vécu parmi les habitants vivant avec la nature environnante.

A mon retour en France, le contraste a été sévère… Je suis rapidement revenu dans le monde agricole pour rejoindre un élevage bovin bio avec un ami. Puis j’ai suivi une formation en maraichage près de Lyon où j’ai participé à la création d’un jardin collectif et associatif : Côté Jardin. Cette asso, précurseur des AMAP actuelles, m’a ensuite salarié comme maraîcher. 

Après 5 ans, je suis revenu dans ma Charente natale pour m’installer en maraîchage. D’abord seul, sur 1 ha seulement. Puis la ferme a grossi, des associés sont venus, puis repartis. 

Aujourd’hui, Bio Chemins c’est 5 ha de maraichage bio, 6 équivalents temps complets dont moi-même, 2 salariés en CDI, Marie-Christine à mi-temps et des saisonniers.

Maintenant, l’heure de la retraite approche pour Marie-Christine et moi. Bénédicte, qui a le projet de reprendre Bio Chemins, est en train de finir son parcours de formation. Nous sommes dans la période de parrainage (on parle de tuilage en agriculture) depuis juin dernier et pour quelques mois encore. La fourniture de paniers à Bio’Gustin va donc continuer

Comment as-tu vu l’Agriculture Biologique évoluer au cours de ta carrière ?

Ma première expérience, en élevage bovin Bio, a démarré en 1984. A l’époque, la bio est très marginale. Elle n’est pas vraiment structurée, ce sont surtout des groupes de paysans qui s’organisent localement pour faire évoluer leurs pratiques. C’était une activité militante en réaction à l’essor de l’agriculture industrielle qui se fait à grands renforts de produits chimiques. Et c’était une aventure collective aussi. J’ai moi-même adhéré au GAB 17 (Groupement d’Agriculture Biologique de Charente-Maritime) à mes débuts. J’ai vu apparaître le cahier des charges du bio français, très inspiré à l’époque par celui de Nature & Progrès et donc ECOCERT, le premier organisme certificateur. Les premières Biocoop aussi. 

Avec l’apparition du premier cahier des charges européen en 1991, des financements européens vont permettre à la filière bio de se structurer. Une fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB), des fédérations régionales (FRAB), les premiers salariés qui soulagent le bénévolat des agriculteurs, etc… 

Aujourd’hui, ces structures départementales et régionales sont de véritables outils de développement.

Plus récemment, j’ai vu le moment où la demande en bio est devenue suffisamment importante pour intéresser l’agroindustrie et la grande distribution. Ils ont alors su faire pression pour assouplir le cahier des charges et l’adapter à leur logique de productivité et d’économies d’échelles. Beaucoup d’agriculteurs ont été attirés par les opportunités d’un marché dynamique, sans adhérer aux valeurs qui ont fondé la bio.

Justement, peux-tu nous décrire ta vision de l’évolution du marché de la Bio ?

Pour moi, c’est la crise de la vache folle qui a donné une première grosse impulsion, à la fin des années 90. Les consommateurs ont recherché plus de produits sains et naturels. La bio était une alternative à la logique folle de l’agroindustrie qui apparaissait alors clairement au grand jour.

Le COVID a aussi été un temps fort. Le petit marché qu’on organise à la ferme le samedi a vu des files d’attente incroyables à cette époque. Mais cette page là s’est vite tournée. L’industrie a su créer tout un tas de labels pour embrouiller les consommateurs : agriculture raisonnée, sans résidu de pesticides, et surtout le HVE ! Et puis l’inflation est venue se greffer là-dessus. 

D’ailleurs, les produits bio ont moins subi l’inflation que l’agriculture dite conventionnelle. Mais pourtant, le marché de la bio a bien ralenti alors que le nombre de conversions et d’installations en bio a été très important au cours des années précédentes. La filière bio est clairement en difficultés aujourd’hui.

Pourquoi t’es-tu engagé si tôt dans la bio ? D’où te vient cette conviction ?

J’ai grandi dans une campagne que le remembrement a fortement dégradée. J’ai vu de belles forêts remplacées par des monocultures de pins, des cours d’eau déviés et leur population de poissons disparaître, des haies et des bosquets arrachés. J’ai vu les produits chimiques polluer les nappes et l’air et rendre les paysans malades. Tout cela m’a touché dans ma chair. 

J’ai aussi compris qu’avec des grosses machines et des produits chimiques puissants on pouvait faire de grosses bêtises et causer de gros dégâts. C’est comme avec le nucléaire : on joue aux apprentis sorciers avec des outils que nous ne maitrisons pas complètement.

Aujourd’hui on parle beaucoup d’écoanxiété. Et bien moi j’ai ressenti très jeune ce genre d’émotions. Quand j’ai rencontré les paysans pionniers du bio, à la fin des années 70, je me suis alors senti moins seul. 

Ce qui m’a attiré dans l’agriculture biologique, c’est l’envie d’utiliser les forces de la nature pour produire sans abuser, sans détruire, sans polluer. Pour moi, tout ce qui est vivant est important. On doit prélever pour vivre, mais on peut le faire raisonnablement, avec respect. Le bio s’inscrit dans une recherche de moyens de produire sans saccager. 

Ca nécessite d’approfondir sans cesse la connaissance et la compréhension du monde vivant, de sa complexité, de ses équilibres. La vie des sols, les interactions entre végétaux et animaux, la biologie végétale sont des sujets passionnants.

En résumé, le Bio, c’est le respect du vivant. Pour cela, on interdit les produits chimiques de synthèse (engrais, traitements, ..)  et les pratiques contre-nature comme les OGM et les cultures hors-sols.

Pourquoi es-tu engagé dans plusieurs AMAP ?

On a été démarché très tôt par des AMAP, dès 2003. Forcément, après mon expérience de jardin associatif près de Lyon, l’idée m’a plu. J’ai vu ça comme un choix politique : s’engager dans un projet avec des consommateurs qui veulent prendre en charge leur alimentation, s’intéresser à ce qu’il mettent dans leur assiette. J’ai eu très envie de me lancer dans l’aventure malgré des hésitations au début : je devais abandonner des marchés qui fonctionnaient et j’avais peur que cet engouement pour les AMAP ne soit qu’un feu de paille. Mais on l’a fait et aujourd’hui c’est une part essentielle de Bio Chemins.

Explique-nous ce que ça change, pour une ferme comme Bio Chemins, l’engagement dans des AMAP.

Le gros intérêt pour nous, c’est l’engagement des adhérents. Ca nous donne une visibilité incroyable. On peut planifier les cultures au plus juste, anticiper une grosse part de notre chiffre d’affaires. 

Ca sécurise beaucoup, et ça nous permet donc de sécuriser des emplois : on a eu jusqu’à 3 salariés en CDI à l’année, ce qui est beaucoup pour une petite exploitation comme Bio Chemins.

Ensuite, c’est moins fatiguant qu’un marché. Ca dure moins longtemps, c’est plus régulier, il n’y a pas d’aléa météo. Bref, ça apporte beaucoup de confort dans un métier où le confort est rare… Et ça nous permet de nous focaliser sur le cœur de notre métier : la production. 

Avec les AMAP, on est moins stressé par la commercialisation, donc plus concentré sur la production. Au passage, on règle aussi le problème des pertes en cas de surproduction. 

Quand on revient d’un marché on a toujours des invendus. Avec les AMAP, si on produit trop, on met tout dans les paniers et les adhérents sont contents !

Enfin, la relation avec les consommateurs est très enrichissante. Quand on est producteur, c’est très motivant de savoir pour qui on produit.

Quelle est, de ton point de vue, la particularité de Bio’Gustin ?

Du fait que la distribution est le vendredi, c’est toujours moi qui m’en occupe. Les salariés de Bio Chemins vont plutôt faire les distributions en semaine. Je connais donc bien les adhérents. 

C’est pourquoi je viens avec beaucoup de plaisir. Et puis l’ambiance est bonne, l’asso est dynamique. Ca fait plus de 11 ans que je viens tous les vendredis et j’en suis ravi !

Il paraît qu’un maraicher, ça travaille dur. Décris-nous une semaine type.

Je travaille 7 jours sur 7. Le mercredi après-midi, je prends du temps pour mon autre passion : la peinture. Je donne des cours à des enfants puis je participe à l’atelier des adultes.

Les journées sont assez chargées. Le réveil est vers 6h du matin. A la ferme je m’occupe surtout de la préparation des planches avec le tracteur, du binage (NDLR : désherbage mécanique, avec un outil qui racle la terre en surface. Il n’y a pas de désherbant en agriculture biologique) et de l’irrigation. Les salariés s’occupent surtout des plantations et de semis, des récoltes et du conditionnement.

Après le déjeuner, je m’offre une sieste. L’après midi je retourne au champ. En saison haute, je peux terminer tard le soir.

Le samedi matin, je tiens le petit marché à la ferme. Le dimanche, c’est le gros marché des Chartrons, à Bordeaux. Le réveil sonne encore plus tôt, et je rentre à la ferme vers 15 h, bien fatigué. Je me repose le dimanche après-midi.

Pas de vacances ?

2 semaines pour les fêtes de fin d’année. J’en profite pour peindre, pour bricoler.

Une petite question d’actualité pour finir : les pluies diluviennes de ces dernières semaines créent-elles des dégâts dans les champs ? Doit-on s’inquiéter pour nos futurs paniers de légumes ?

Non, pas vraiment. D’abord, ça tombe à une époque où on cultive essentiellement dans les serres, donc à l’abri de la pluie. Nos sols sont très sableux, donc très filtrants. On peut donc travailler dans des conditions presque normales. 

Le seul problème, c’est qu’on n’a pas pu nettoyer les planches des cultures d’automne, mais rien de grave. Comme je dis toujours, une mauvaise météo c’est une météo qui dure trop longtemps. 

C’est normal d’avoir beaucoup de pluie en automne, si ça se calme dans les semaines qui viennent alors ça n’aura pas de conséquence sur notre production de légumes.