Céline et Olivier – Aux Brebis Délices

Cette cinquième interview de producteur nous emmène à la rencontre de Céline GUGUIN, de la ferme Aux Brebis Délices. Elle nous raconte notamment son parcours d’installation avec Olivier, son compagnon. C’est aussi l’occasion de s’immerger dans le quotidien d’une ferme paysanne qui maîtrise toutes les étapes ; élevage, transformation et commercialisation. Un petit lexique en fin d’article aidera peut-être les citadins que nous sommes à en savoir plus sur ce beau métier. Il existe aussi une vidéo qui présente la ferme : https://vimeo.com/867535312. Céline sera présente parmi nous le 14 février 2025. Ce sera l’occasion pour vous de lui poser vos questions si vous voulez en savoir plus.

Bonne lecture.

Hervé
Troupeau d'une vingtaine de brebis mangeant du lière poussant sur le tronc d'un arbre.

À quoi ressemble ta ferme ?
C’est une exploitation de brebis laitières avec 380 brebis qui ont à leur disposition 22 ha de prairie à pâturer. Il y a aussi 5 vaches. Nous avons une fromagerie sur la ferme, qui nous permet de transformer 100 % du lait en yaourts et fromages.Elle se situe à quelques kilomètres de Périgueux, tout près de la ferme bio du Gagnou d’Anthony. Ça nous permet de covoiturer pour venir jusqu’à vous à Bio’Gustin.Tous nos produits sont certifiés bio, sans exception. Ils sont vendus dans des magasins bio et des magasins de producteurs autour de la ferme, dans 8 AMAP dont Bio’Gustin, et à la restauration collective via Manger Bio Périgord1.

Combien de personnes y travaillent ?
Olivier, mon compagnon, et moi, sommes associés en GAEC2. Moi, je m’occupe surtout de la commercialisation, alors qu’Olivier se focalise sur l’élevage et la transformation. Il y a également une salariée qui travaille à plein temps en CDI sur l’élevage et la fromagerie.

Quel est votre parcours professionnel ? Êtes-vous issus du monde agricole ?
Olivier est un berger originaire du plateau de Millevaches en Haute-Corrèze. Il est né dans une ferme composée de vaches laitières, de moutons et de porcs fermiers. Après l’obtention d’un BTS Productions Animales, il a travaillé plusieurs années à la Chambre d’Agriculture du Cher et dans un lycée agricole en Vendée.Ensuite, il s’est installé une première fois comme éleveur de vaches laitières (des Montbéliardes) en Haute-Vienne. Puis il a eu une parenthèse de 10 ans en tant que conseiller agricole en banque. Mais le métier de paysan lui manquait trop, il a voulu retourner à ses premiers amours : l’élevage. De mon côté, je suis née dans la Beauce où j’ai grandi à côté d’une ferme. J’ai passé la plupart de mon temps avec les animaux : moutons, poules, cochons, pigeons, canards, vaches… Après mes études en commerce et en communication, j’ai décidé de m’investir dans le développement local. En 2003, la plateforme Initiative Périgord m’a accueillie pour effectuer un stage et je n’ai jamais quitté ce réseau. Pendant 17 ans, j’ai accompagné des porteurs de projet à devenir chefs d’entreprise. Cela m’a encouragée à devenir entrepreneure.Quand nous nous sommes rencontrés avec Olivier, nous avons décidé de créer notre ferme. En 2017, j’ai commencé mes études en agriculture au CNEAC – le Centre National d’Enseignement Agricole par Correspondance. En 2018, j’ai obtenu un Bac Pro CGEA (Conduite et Gestion de l’Entreprise Agricole).

4 vaches dnas un champ. En arrière plan, un hangar surmonté de panneuax solaires

Votre ferme est plutôt récente. Peux-tu nous faire un résumé de ces quelques années d’activité ?
Olivier est officiellement exploitant agricole depuis 2018. Nous avons commencé par acheter le troupeau et le matériel d’une agricultrice qui prenait sa retraite. Nous sommes partis d’une prairie, il a fallu tout construire : la bergerie, la fromagerie, etc. C’est beaucoup plus compliqué de s’installer « hors cadre familial », comme nous, que de reprendre une ferme familiale.Les travaux d’aménagement de la ferme, et surtout de la fromagerie, ont duré beaucoup plus longtemps que prévu. Ça a été compliqué pour nous puisqu’on ne pouvait pas encore transformer le lait dans la fromagerie. Du coup, on le vendait directement à des laiteries mais les prix sont très bas, ce n’est pas rentable. Et puis notre projet consistait dès le début à maîtriser toutes les étapes, de l’élevage à la vente de nos produits transformés. Donc dès qu’ona pu, on s’est mis à produire des fromages (le Pigouille, le Marlou et la tomme pour commencer) et du yaourt nature.Dans notre projet initial, on devait tout vendre à la restauration collective. Mais la Covid est venue bousculer nos plans : quand j’ai rejoint Olivier au sein du GAEC en février 2020, juste au début des confinements, le marché de la restauration collective s’est effondré ! Il a fallu rebondir, et vite, parce que les brebis n’arrêtent pas de faire du lait… Il fallait s’adapter auxmarchés qui continuaient de fonctionner pendant les confinements : les magasins et les AMAP.Nous avons donc élargi notre gamme de produits avec d’autres fromages (feta, Reblochou, Délichou, Palets, Fripouille, fromage frais, fromage blanc, yaourts bi-couche, crèmes desserts, riz au lait, …). Mais pour faire cela, il a fallu recruter une salariée car notre temps passé à la fromagerie a beaucoup augmenté.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez depuis la création de la ferme ?
À part la crise COVID, il y a eu deux grosses années de sécheresse et de canicule en 2022 et 2023. La production de foin3 n’a pas été bonne et il y a eu beaucoup d’avortements chez les brebis. Les quantités de lait produites en hiver n’ont pas été à la hauteur.Cette année, la pluie n’a pas manqué… Mais une nouvelle menace a fait son apparition dans nos régions : la fièvre catarrhale ovine (FCO). Heureusement, c’est une maladie qui ne se transmet pas à l’homme et ne nuit pas à la qualité du lait, mais c’est un gros souci pour l’élevage ovin4 et bovin5 français. Elle s’est répandue très vite et a pris de court les services vétérinaires, si bien qu’il y a eu une pénurie de vaccins. Dans notre coin, on est resté sur liste d’attente et on n’a pas pu vacciner. Non seulement notre troupeau s’est réduit de 450 à 380brebis en un an, mais en plus, cette maladie affecte la fertilité des brebis, et donc la quantité de lait produite.Et puis nous n’échappons pas à l’inflation bien sûr. Le pire, ce sont les factures d’électricité qui ont doublé ! Et comme le marché de la bio est à la baisse, nos prix de vente n’ont pas vraiment augmenté.

Plateau de fromages de brebis

Quels sont vos projets pour la suite ?
On veut créer un magasin à la ferme et acquérir 5 vaches supplémentaires pour produire plus de fromage de vache.Là encore, la quantité de travail va augmenter. Nous cherchons donc à recruter un deuxième salarié. C’est important pour nous car depuis la création de la ferme, on travaille entre 12 et 15 heures par jour, 7 jours sur 7. C’est le gros inconvénient de l’élevage : il faut s’occuper des bêtes tous les jours, les nourrir, les traire, puis nettoyer la salle de traite pour maintenir une hygiène impeccable. Qu’il pleuve ou qu’il vente, même les dimanches et jours fériés ! Et le faitde transformer le lait, c’est super motivant et gratifiant mais ça demande beaucoup de temps.On transforme en moyenne 100 litres de lait de brebis et 80 à 100 litres de lait de vache par jour, 6 jours par semaine.

Quelles sont les différences entre vos produits et des produits bio qu’on trouve en supermarché ?
D’abord, nous maîtrisons tout le processus : élevage, production du lait, transformation, vente.Rien à voir avec un circuit plus classique où un agriculteur produit un maximum de lait pour le vendre à tout petit prix à une industrie qui va le transformer et empocher toute la marge. Le fait de transformer à la ferme nous permet de choisir des ingrédients de qualité et qui correspondent à nos engagements : pas d’additif, ni de conservateur, ni de gélifiant, ni d’émulsifiant, ni de stabilisant,… ; des ingrédients bio et si possible produits en France (le sucre, les fruits, etc.). Si vous prenez notre crème dessert au caramel par exemple, il n’y a que 3 ingrédients dans le caramel qui est fait maison : du sucre, du lait et de l’amidon de maïs. Un autre exemple : pour le chocolat, nous achetons des palais pâtissiers de qualité, pas du chocolat bon marché et bourré de sucre.Du côté de l’élevage, on est très attachés au bien-être de nos animaux. La bergerie est au centre de nos 22 ha de prairie, les bêtes peuvent donc sortir librement et pâturer à volonté pendant une bonne partie de l’année. Pour l’hiver, nous leur donnons du foin récolté dans ces mêmes prairies et séché en botte : nous refusons de leur donner du foin d’ensilage6 qui permettrait d’augmenter les rendements mais qui est mauvais pour leur santé. En complément du foin, nous n’achetons que des produits naturels et locaux : blé, lentilles, pois chiches, etc. Là aussi, si on voulait faire un max de lait, on donnerait des granulés7 en complément du foin d’ensilage. Mais ce n’est pas dans notre philosophie.On a aussi fait le choix d’être en monotraite : les brebis ne sont traies qu’une fois par jour, au lieu de deux dans beaucoup d’élevages. On leur demande donc de produire moins, ce qui est plus respectueux de leur santé et de leur rythme naturel. On met la priorité sur la qualité du lait, pas sur la quantité. C’est pour ça qu’on doit transformer nos produits et les vendre en direct, afinde mieux rémunérer notre travail. Un producteur, même bio, qui vend son lait sans le transformer, a du mal à marger et doit donc produire le plus possible, au détriment des bêtes et de la qualité du lait.

Petit lexique pour les éleveurs débutants

  1. Manger Bio Périgord : société coopérative qui joue le
    rôle de grossiste pour alimenter la restauration collective régionale
    avec des produits bio et locaux https://www.mangerbioperigord.fr ↩︎
  2. GAEC : le Groupement Agricole d’Exploitation en Commun est une société
    civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs associés la
    réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à
    celles existant dans les exploitations de caractère familial. ↩︎
  3. Foin : le foin est un fourrage constitué d’herbe fauchée au printemps
    dans la prairie, séchée et conservée pour l’alimentation des animaux
    herbivores dans les périodes où le pâturage n’est pas possible. ↩︎
  4. Ovin : famille d’herbivores comprenant les moutons. En élevage, les
    mâles reproducteurs sont les béliers, les femelles sont les brebis, et
    les petits sont les agneaux. ↩︎
  5. Bovin : famille d’herbivores comprenant les bœufs. En élevage, les mâles
    reproducteurs sont les taureaux, les femelles sont les vaches, et les
    petits sont les veaux. ↩︎
  6. Foin d’ensilage : foin qui est stocké dans un silo ou enrubanné de
    plastique dans le but de déclencher sa fermentation. Il se conserve
    mieux que le foin et il est plus nutritif. Mais la fermentation a un
    impact sur la santé des herbivores. ↩︎
  7. Granulés : compléments alimentaires fabriqués à base de céréales ou de
    luzerne. Pratiques à stocker et à distribuer, ils ont pour inconvénients
    de ne pas correspondre au régime alimentaire naturel des ovins et
    peuvent donc avoir un impact négatif sur leur santé. ↩︎