Alexandre Pillet, notre apiculteur

Pour cette quatrième interview, je suis allé à la rencontre d’Alexandre PILLET, notre apiculteur.
Nous avons parlé des difficultés qu’il rencontre en ce moment et pour lesquelles il a lancé un appel à solidarité. Nous avons aussi parlé de lui et de son parcours, et j’ai profité de l’occasion pour en apprendre plus sur la fabrication de miel et le métier d’apiculteur. Alexandre viendra à l’AMAP le vendredi 15 mars. N’hésitez pas à aller à sa rencontre et à lui poser plus de questions.
Bonne lecture à vous.

Hervé

Alexandre, tu as lancé un appel à solidarité. Que t’est-il arrivé ?

J’ai perdu la moitié des colonies d’abeilles en 2023 ! Ca a été une très mauvaise année pour plusieurs raisons. Les canicules réduisent les quantités de pollen disponible. La pression du frelon asiatique est toujours très forte. Le varroa, un acarien parasite présent dans quasiment toutes les ruches du monde, maintient également une pression sur le cheptel.

Et pour finir, des inondations en Charente-Maritime ont emporté 16 de mes ruches ! Bref, en un an, mon cheptel est passé de 200 à 100 ruches ! Je dois donc racheter en urgence une soixantaine d’essaims (un peu plus de 140 € l’un) et diviser certaines grosses colonies pour faire une quarantaine de ruches supplémentaires. J’espère avoir à nouveau 200 ruches en production d’ici 2025.

Pourquoi ne divises-tu pas plus de colonies pour augmenter plus rapidement ton cheptel ?

Quand on divise une colonie, on l’affaiblit. La production de miel diminue alors fortement. Les divisions se font au mois d’avril. Dans un premier temps, l’activité de la ruche se concentre sur la ponte et la nourriture à apporter aux jeunes larves. La production de miel ne commence donc qu’à partir de mi-juin et encore, elle n’est qu’à 50 % de sa capacité.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette technique de division d’une colonie ?

Quand une colonie est suffisamment grosse, je peux prélever des œufs et des abeilles et les installer dans une nouvelle ruche. Les nourrices, qui s’occupent de l’élevage des larves, se rendent compte en quelques heures que la ruche n’a pas de reine. Au lieu de nourrir les larves avec de la gelée d’ouvrière, elles se mettent à les nourrir avec de la gelée royale.

C’est ça qui déclenche certains gênes et qui font que les larves ne deviennent pas des ouvrières, mais des reines ! C’est un vrai cas d’école de ce qu’on appelle l’épigénétique : les reines et les ouvrières ont le même code génétique, elles sont issues des mêmes larves, mais ce sont les conditions de vie dans les premières heures qui vont activer certains gênes et pas d’autres.

En quoi l’opération que tu as lancé va t’aider à relancer ton cheptel ?

En fait, c’est une avance sur trésorerie. Je vous propose d’acheter maintenant du miel que je ne livrerai qu’en octobre. Je peux ainsi acheter les 60 essaims et fabriquer les ruches qui manquent.

Peux-tu nous décrire le parcours qui t’a amené à devenir apiculteur ?

En début de carrière j’étais aide-éducateur dans un lycée agricole. J’ai découvert l’apiculture en 2005 et ça m’a passionné. J’ai pris trois années pour suivre une formation (BPREA) et travailler comme ouvrier agricole. Ca m’a laissé le temps de monter mon exploitation et de créer mon propre cheptel avec l’aide de la région et des fonds européens.Mon activité agricole a vraiment démarré en 2009.

Je viens de la région de Montpellier et je suis venu vivre en Gironde pour assouvir mon autre passion, le surf. En fait, j’ai aussi une trois troisième passion : la musique. Je joue de la contrebasse dans un groupe de jazz manouche qui s’appelle Jazzymuté. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai appelé mon exploitation

« Le Rucher des Musiciennes ».

On entend dire que les apiculteurs sont des paysans sans terre ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Pour faire du miel, il faut déplacer régulièrement les ruches pour suivre les floraisons. Il n’est donc pas utile de posséder du foncier, il faut plutôt trouver des agriculteurs ou des particuliers qui peuvent accueillir nos ruches dans un environnement favorable. Je privilégie surtout des exploitations agricoles soit bio soit entourées de forêt. Je place aussi certaines ruches sur des parcelles forestières qui appartiennent à des particuliers. Je m’assure que mes abeilles vont butiner dans un environnement sain, avec beaucoup de fleurs et peu de pollution.

En tout, je travaille sur neuf sites : quatre en Gironde, trois dans les Landes et deux en Charente-Maritime.

Le gros de mon travail consiste à anticiper et organiser la transhumance des ruches. Je suis le calendrier de floraison : la saison commence avec le colza, qui fleurit le 1er avril ; ensuite il y a l’acacia le 1er mai ; puis le châtaignier le 1er juin ; et enfin la bruyère et le tournesol le 1er juillet.

Bien sûr, ces dates fluctuent de cinq à dix jours en fonction de la météo. Je passe donc beaucoup de temps à observer la météo et l’évolution des végétaux au long du cycle des saisons.

Les transhumances s’anticipent : je dois faire quatre ou cinq voyages pour déplacer l’ensemble de mon cheptel. Je les déplace la nuit, pour être sûr que toutes les butineuses sont bien dans la ruche.

Et c’est aussi à cette saison que je dois extraire le miel. Autant dire qu’entre le 15 mars et le 15 octobre, j’ai de quoi m’occuper ! Le mois de juin est la période la plus chargée de l’année pour moi. En plus, je suis obligé de commercialiser pendant toute l’année. Autant l’hiver, j’ai du temps pour ça, autant, pendant la période de production, c’est parfois compliqué !

Quelles sont les autres composantes du métier d’apiculteur ?

La priorité, c’est de veiller à ce que les abeilles aient de bonnes ressources en miel et en pollen. C’est donc l’organisation des transhumances dont je viens de parler.

Ensuite, il faut s’occuper du bon développement des ruches. Il faut savoir que les abeilles hibernent dans la ruche. La colonie rétrécit alors, pour des questions de survie. Elle passe de 40 000 à 15 000 individus. Au printemps, toutes les abeilles s’activent pour faire grossir à nouveau la colonie. Le soin qu’apporte alors l’apiculteur est essentiel.

Par exemple il faut renouveler la cire qui est présente dans les ruches : je sors à peu près 20 % de la cire chaque année, je la fais fondre, je la filtre, puis je la remets dans les ruches. Cela permet de prévenir des maladies comme la loque américaine et la loque européenne. La plupart des polluants présents dans l’environnement des abeilles se retrouvent également dans la cire.

En agriculture conventionnelle, on peut retrouver pas mal de produits phytosanitaires qui se concentrent dans la cire. Dans certains cas, ça devient tellement grave que la colonie peut s’effondrer.

Au printemps, l’apiculteur doit aussi donner ponctuellement du sirop de sucre aux toutes petites colonies, pour stimuler la ponte de la jeune reine. En hiver, si une ruche n’a pas assez de miel pour « hiberner », je peux en ajouter ou mettre du candi (mélange sucre+ miel), c’est pour sauver la ruche de la famine, ca se fait au cas par cas suivant les besoins. Ça peut arriver sur des jeunes colonies qui n’auraient pas réussi à faire suffisamment de réserves, ou aussi sur des colonies qui subissent une forte pression du frelon asiatique.

Les ruches ne reçoivent en aucun cas de sucre lorsqu’elles sont en production, c’est d ailleurs interdit et contrôlé.

Une question bête : comment les abeilles font-t-elles le miel et quelles sont les ingrédients ?

Les abeilles aspirent le nectar qui est dans le pistil des fleurs. Le nectar c’est de l’eau avec 15 % de sucres. Les abeilles transforment ce nectar dans leur tube digestif, puis elles le sèche dans les alvéoles de la ruche jusqu’à ce qu’il y ait moins de 18 % d’eau.

Ainsi, dans le miel, on trouve un peu d’eau, beaucoup de sucres, quelques traces de pollen, des oligo-éléments, des acides aminés, et l’acide gluconique : c’est ce composé qui joue un rôle désinfectant important dans le miel. Vous avez sûrement entendu parler de l’utilisation de miel comme antiseptique en milieu hospitalier, notamment pour accélérer la guérison la cicatrisation.

On entend aux actualités que les apiculteurs français traversent une crise importante. Peux-tu nous en dire un peu plus et nous raconter comment est-ce que tu vis cette période mouvementée ?

La crise actuelle de l’apiculture française est due à trois facteurs : la baisse de la production, la chute des prix et l’inflation.

La baisse de la production vient surtout de la forte mortalité due au frelon asiatique , du varroa, mais aussi de pollution en générale et de la destruction des biotopes.

Pour la baisse des prix, il y a une concurrence de miels importés (de Chine, d’Ukraine, etc.) à des prix incroyablement bas. Il y a même des « faux miels » et des fraudes en tout genre ! Tout ça fait que les collègues qui vendent sur le circuit classique (grossistes, grande distribution, etc.) se retrouvent à vendre à perte. Certains arrêtent même de vendre et accumulent des stocks en espérant que la situation s’améliore.

Enfin, avec l’inflation, nos coûts de production ont augmenté. Les apiculteurs se retrouvent donc pris en étau entre une augmentation de leurs charges et l’effondrement de leurs prix de vente !

En ce qui me concerne, mon modèle économique est bien plus résiliant : en ayant fait le choix de la vente directe, dont 70 % en Amap, je ne subis presque pas cette concurrence déloyale. Bien sûr, je n’échappe pas aux difficultés liées à la production ni à l’inflation sur les matières premières, mais au moins, je peux continuer mon activité puisque j’ai une clientèle fidèle et des prix qui se maintiennent.

70 % de tes ventes dans les Amap ! Tu es donc engagé dans plusieurs Amap ?

Je travaille avec 11 Amap au total. Bio’Gustin bien sûr, mais aussi Ambarès, Tresses, Saint-Jean D’Illac, Saint-Loubes, etc.

Bio’Gustin est l’une de mes plus grosses Amap. En moyenne, il y a 25 familles qui me prennent du miel.

Ce qui est sûr, c’est que dans ce genre de crise, l’Amap est la meilleure façon de soutenir une agriculture paysanne !

Qu’est-ce qui différencie ton miel des autres ?

Déjà, je respecte le cahier des charges de la Bio. Je n’utilise donc pas de produit chimique. Par exemple pour traiter les ruches contre le varroa, l’agriculture conventionnelle autorise des pesticides très efficaces mais qui s’accumulent dans les matières grasses comme la cire. On en retrouve aussi des traces dans le miel ! Moi je n’utilise que de l’huile essentielle de thymol (thym) et de l’acide oxalique, deux produits naturels qui perturbent très peu les abeilles et qui ne polluent pas.

Toute la cire que j’utilise vient exclusivement de mon exploitation. Je suis très vigilant à ne jamais mélanger ma cire à celles des autres apiculteurs, pour éviter les maladies et les pollutions de mes ruches.

Je n’utilise aucun plastique dans mes ruches, alors qu’il existe des fonds de ruche, des nourrisseurs et même des ruches entières faites de plastiques. Elles sont moins chères, et demandent moins d’entretien mais je n’en veux pas. Les abeilles n’aiment pas le plastique, pas du tout même !

Je n’utilise pas de peinture pour mes ruches, uniquement de l’huile de lin pour protéger le bois.

D’ailleurs j’organise des chantiers participatifs pour nettoyer les cadres et peindre les ruches.

Pour en savoir plus sur les difficultés de l’apiculture française, Brut propose un reportage de 14 minutes avec des détails sur les fraudes et les « faux miels »

Pour en savoir plus sur Jazzymuté, le groupe de musique d’Alexandre : https://jazzymute.wixsite.com/jazzymute